Citations de Desvallières


| Retour menu citations | Jeunesse | Après la Guerre 14-18 | Art sacré |

 

[Desvallières sur Gustave Moreau, le Salon d'automne, l'art]



« Je voudrais dire l'impression singulière que je ressentis lorsque, pour la première fois, j'entrai dans les ateliers de Moreau. C'était peu de temps après sa mort. Les grandes salles qui composent aujourd'hui le musée étaient encombrées de plus de cent chevalets, tous garnis de toiles ; elles étaient entassées un peu sans ordre dans la pièce. C'étaient des ébauches enfiévrées, des préparations froides, des détails d'ornementation décalqués minutieusement sur des pâtes savoureuses, enrichissant quelques formes bousculées dans l'ardeur d'un coup de brosse ou l'écrasement du couteau à la palette. Comment dire ce qui se dégageait de cet amoncellement de pensées, les fanfares qui jaillissaient du choc de ces colorations !

« Il volait comme des paroles mystérieuses dans l'air et c'étaient les fleurs ailées, les fruits animés de cette flore singulière que donnent ces arabesques d'êtres humains, d'architectures et de feuillages, qui sont les paroles dont Gustave Moreau fait son discours. « Que c'est beau ! que c'est beau ! » et mon admiration s'exprimait sans ordre comme elle naissait sans raison précise, sans objet déterminé… Je n'avais regardé ni les Prétendants, ni les Argonautes, ni aucune œuvre en particulier. C'étaient elles toutes qui, à la fois, sans dénomination, de façon anonyme, voilées de mon ignorance, venaient me dire à l'oreille le grand mystère qu'elles portaient, ce qu'elles portaient, ce qu'elles représentaient : la Vie intérieure de l'Humanité. »

George Desvallières, « Introduction », in L'Œuvre de Gustave Moreau publié sous
le haut patronage du musée national Gustave-Moreau
, Paris : J.-E. Bulloz, 1911.




« Gustave Moreau a trouvé dans mes premiers essais des empâtements intéressants. Moi, dès le début j'ai été frappé par la liberté d'exécution de Gustave Moreau qui reprenait au couteau des choses un peu plates, très étudiées, et les faisait vibrer. »

George Desvallières, notes personnelles, non datées.




« Gustave Moreau, c'est le triomphe de la beauté spirituelle sur la beauté plastique. »

George Desvallières, « Gustave Moreau », exposition Gustave Moreau et quelques-uns
de ses élèves
, Paris, galerie Georges-Petit, avril 1926, préface.




« […] Je vois deux courants distincts, deux efforts contraires : celui du comité du Salon d'Automne tendant exclusivement à faire un salon différent des autres, celui d'une partie de nos camarades tendant à rendre le Salon d'Automne de plus en plus semblable aux autres.

« […] Mes amis et moi, au comité, nous avons voulu, non seulement donner au Salon d'Automne une direction artistique tout opposée à celle des autres salons, prenant et choyant surtout les artistes refusés ailleurs, mais encore nous avons voulu, par nos règlements, faire que nos sociétaires aient plus de devoirs à remplir que de satisfactions personnelles à attendre.

« […] Ne croyez-vous pas qu'il y a un certain courage et par conséquent un certain désintéressement à jeter comme nous l'avons fait à la face d'un public qui vient chez nous, comme ailleurs, pour se distraire, un Gauguin, un Cézanne, un Matisse et d'autres ? Croyez-vous que nous ne savons pas de quel ridicule nous nous couvrons auprès (je ne dis pas des imbéciles qui ne comptent pas) mais bien auprès d'amis simplement moins attentifs que nous aux évolutions de l'art, un peu paresseux d'esprit ou ayant des goûts naturels qui les éloignent de ces recherches nouvelles ? Croyez-vous que nous tous qui avons placé (Plumet, Lefèvre et moi), nous ne savions pas que si, lâches à regarder certaines toiles rébarbatives d'aspect mais l'œuvre d'un penseur sauvage ou d'un beau manieur de tons, nous nous étions exclusivement occupés de placer au centre des panneaux les camarades plus ou moins influents dans une assemblée générale, ne pensez-vous pas que notre tâche eût été moins pénible et plus facile ?

« En effet, avec l'orientation prônée par nos adversaires, plus de méningite pour le placeur, plus d'effort chez soi, au détriment de son travail, pour trouver quelque chose de nouveau, pour réparer une injustice par la rétrospective d'un inconnu, d'un méconnu, pour trouver un arrangement qui permette à des talents nouveaux de se montrer en pleine lumière.

« Avec votre système, le public sera content, non pas parce que vous aurez forcé son admiration en le giflant avec de belles œuvres, mais il sera content parce que vous aurez léché ses bottes ; plus de critiques acerbes dans les journaux ; quelques notes aimables et des remerciements, car vous n'aurez pas obligé ces messieurs à se donner du mal pour comprendre et pour expliquer ce qu'ils ont vu ; plus de plaisanteries à essuyer de ses amis, de sa famille sur les « fous » du Salon d'Automne.

« Voyez quel beau résultat : la paix dans les familles, du sucre de la part des critiques et la bénédiction de la foule, de la dolente et lamentable foule !

« Quant à l'art, il n'en est plus question.

« […] Disons franchement ce que nous voulons et ne voulons pas.

« Ne dites pas que la direction du Salon d'Automne est parfaite et ne nous obligez pas à exécuter des décisions qui détruisent tout ce que nous avons fait.

« J'ai demandé la parole parce que l'on m'a dit, parce que l'on a écrit que j'étais à la tête d'un certain mouvement ; c'est vrai ; je crois que je ne l'ai jamais caché et je viens vous demander, par votre vote, d'indiquer loyalement si ce que nous avons fait vous paraît intéressant et doit être continué.

« Dites oui ou non, mais ne prenez pas ces demi-mesures qui sont presque des moyens détournés et qui ne sont pas dignes d'adversaires qui ne veulent lutter que courtoisement et avec une estime réciproque. »

George Desvallières, « Manifeste. L'Esprit du Salon d'Automne », intervention
à l'assemblée générale du comité du Salon d'Automne, novembre 1906, A.R.D.




« Je place l'art tellement haut, tellement au-dessus de notre vie sociale, que je n'ai jamais compris que l'on pût mettre des échelons entre les artistes, qu'on leur donnât des grades, qu'ils eussent un rang.

« Au contraire, je vois l'art évoluer dans un domaine serein où règne comme une atmosphère de charité plastique, les œuvres se joignant entre elles, l'expression de l'une complétant celle du voisin, tous travaillant à un but dépassant l'effort isolé, individuel, aucun ne pouvant se passer de celui-ci, si modeste soit-il. Et je voudrais prendre la chapelle Sixtine comme le lieu rare où se rencontreraient sur cette terre les spécimens les plus expressifs des œuvres plastiques.

Sans parler des maîtres anciens sur lesquels nous sommes tous d'accord, je rêverais d'y réunir par la pensée : Ingres, Manet, Corot, Delacroix, Chardin, Watteau, Cézanne, Daumier, Renoir, Lautrec, Sisley, Pissarro…, un dessin de Forain.

« Nous verrions alors, j'en suis sûr, sous ses voûtes de mélancolie, de grandeur, de silence, loin de toute polémique intéressée, tous ces artistes briller d'un éclat de même qualité ; un modeste Corot d'Italie, un Benedicite de Chardin apparaîtraient comme des diamants d'une eau si pure que Michel-Ange, avec sa majesté, n'en pourrait ternir l'éclat ; leur charme d'intimité même aiderait à pénétrer la mélancolie grandiose du Florentin.

« On verrait peut-être l'arabesque d'un dessin de Lautrec, par son côté satanique, ne pas être écrasée par certains coins du Jugement dernier dont l'ampleur viendrait au contraire s'unir au côté pénétrant, aigu, du jeune maître français.

« Dans cette salle, non seulement personne ne serait tué par son voisin, mais au contraire tous s'aideraient. Chacun apportant, comme dans un orchestre, les instruments divers, l'appoint de sa sonorité différente à l'harmonie générale. Et si je perçois un Rubens emplissant la salle de ses éclats, comme ces beaux cuivres dont les sonorités indispensables ne portent pas en elle, cependant, toute l'éloquence de la symphonie, j'entends très bien aussi un Cézanne résonner dans un coin, pour l'oreille attentive, comme un son mystérieux de hautbois. Watteau, avec sa mélancolie élégante et capiteuse, me fera penser aux chants d'une flûte plaintive et lointaine…

« Mais devons-nous nous arrêter là ? Parmi les jeunes gens, nos contemporains, combien y en a-t-il en effet dont les sonorités picturales, confuses pour la plupart dans le milieu où nous les percevons, se préciseraient dès maintenant, comme elles s'affirmeront plus tard, si nous pouvions les prévoir dans ce bel ensemble ?

« Nous admettrons un Daumier, un Lautrec, j'y vois aussi un Vuillard, délicieux instrument babillard et spirituel. J'y vois, oh ! horreur ! certains Bonnard, je vais plus loin et, je le dis en tremblant, je prétends pouvoir y glisser inaperçus, parce qu'ils feront corps avec le reste, quelque figure ancienne de Puy, une nature morte ou une tête choisie de Matisse… un Derain… un Friesz… je n'ose même plus dire les noms… Ne pourraient-ils pas être là cependant, comme les instruments bizarres, de sonorité inconnue, trouvailles inattendues qui viennent enrichir tous les jours l'orchestre moderne pour augmenter mystérieusement l'ardeur de cet hymne ininterrompu qui s'élève dans l'Eternité, depuis le premier cri de détresse ou d'amour poussé par le premier homme, jusqu'au dernier soupir inquiet et troublant qu'un Debussy fait dire à sa mélodie ? […]

« Mais je tiens à déclarer en terminant que cette vérité, j'ai appris à la connaître au contact de mes deux chers maîtres Elie Delaunay et Gustave Moreau, tous deux membres de l'Institut, et de Jules Valadon. Delaunay m'a donné le goût passionné de cette indépendance de jugement qui était le charme de son caractère. Gustave Moreau, en même temps qu'il m'aidait à pénétrer les maîtres anciens, m'apprenait à aimer Chassériau, cet inconnu, Degas le solitaire si critiqué, Lautrec dont on refusait hier encore une toile au Luxembourg. […] »

George Desvallières, « A propos des Indépendants »,
La Grande Revue, 10 avril 1907, Paris (premier article de Desvallières).




« Qu'on ne parle pas de réaction. Notre section reste profondément « Salon d'Automne ». Notre jugement ne s'appuie sur aucune règle écrite. Nous jugeons l'œuvre comme le sourcier suit les oscillations de sa baguette en écoutant les battements de notre cœur. Nous allons à tout ce qui vibre, si faible que cela paraisse et si audacieux que ce soit. Nous sommes à la recherche de la moindre trouvaille, curieux de l'imprévu. Que nous importe l'imperfection, la grossièreté de la graine, si nous y sentons les promesses de vie. »

George Desvallières, « L'Art religieux au Salon d'Automne »,
Art et Artisanat, numéro spécial Salon d'automne, Paris, 15 octobre 1935.




« La grande révolution (artistique) apportée par les Russes, c'est le fait d'avoir remis entre les mains du même artiste l'exécution des décors, des costumes et de la mise en scène. […]

« Chez les Russes, en brossant leurs décors, c'est surtout de la peinture qu'ils cherchent à faire […]. Bakst nous a démontré cette vérité de façon la plus brillante, j'allais dire la plus bruyante… Mais Benois avec un goût plus sûr […] a su faire du décor qu'il n'absorbe pas toute l'attention des spectateurs venus aussi pour entendre et regarder jouer. »

George Desvallières, Comœdia illustré, juillet 1912 (à propos des Ballets russes).




« L'impressionnisme a donné ce qu'il devait donner. Voilà un retour au style par la ligne ; le ton deviendra plus austère pour que la forme sertie bien nettement prenne toute sa portée ; c'est bien une réaction, mais une réaction en avant, avec toutes les acquisitions venues du recueillement de la réaction passée. »

George Desvallières, lettre à Frantz Jourdain à propos des cubistes
au Salon d'Automne, 1912.



Retour menu citations



© Catherine Ambroselli de Bayser, janvier 2016.